Fonder une marque de vêtements éthiques pour enfants: c’est le projet de Mathilde, notre exapt’preneure du jour ! C’est avec passion et une forte conviction de faire bouger les lignes qu’elle créé Studio Pipoca, une entreprise au Brésil, où mode durable et confortable sont les maitres-mots
Bom dia Mathilde !
Comment en arrive-t-on à se lancer dans l’aventure de l’expatpreneuriat au Brésil ?
J’ai suivi mon conjoint. Il a eu une proposition de poste en 2014, proposition qu’il a déclinée de nombreuses fois car je ne souhaitais pas le suivre et mettre fin à ma carrière à Paris.
Mais nous avions envie d’aventure et nous rêvions de partir, donc l’envie de s’éloigner de la France et de vivre autre chose a pris le dessus !
Je vis donc au Brésil depuis décembre 2014, à São Paulo, dans le Centro, le centre de la ville, un des rares quartiers où on peut trouver une certaine mixité sociale et culturelle, ainsi qu’une
émulation artistique. Je n’avais jamais vécu à l’étranger avant de tomber amoureuse du Brésil !
Est-ce que ton parcours professionnel en France t’avait préparé à cette aventure ?
J’ai toujours eu une fibre entrepreneuriale, je pense dès le début de ma vie professionnelle. Par convention, pour rentrer dans les cases, j’ai commencé dans une grande entreprise, “pour faire
mes armes”, mais j’ai très vite su que ce n’était pas pour moi.
J’ai toujours été intéressée par le sens profond du travail, ce que l’on fait et pourquoi on le fait, et
sur ce qui crée de la valeur dans une entreprise : les gens qui y travaillent, le produit/concept,
l’opérationnel. J’aime me dire que je travaille pour créer de la valeur dans une entreprise, et non pas pour reproduire l’existant.
Quand je suis arrivée au Brésil, par peur de l’inconnu, je me suis replongée dans l’univers
professionnel que je connaissais déjà. Mais je me suis vite rendu compte que je reproduisais les
mêmes choses avec les mêmes personnes, dans une culture différente.
L’arrivée de mes enfants m’a permis de me recentrer et de me questionner sur les secteurs qui
m’intéressaient. La mode en faisait partie, mais je voulais faire autre chose, questionner le modèle que nous connaissions et le marché brésilien, que je trouvais assez en retard sur l’enfant par
rapport au marché européen ou américain.
Je dirais que c’est donc mon état d’esprit, le marché et l’envie de changer les choses qui ont créé
cette première étincelle.
Quelles ont été les étapes de ton projet, et combien de temps pour arriver à la mise en
œuvre actuelle ?
En 2019 j’ai passé un an complet sur la création de mon entreprise.
Les six premiers mois, j’ai d’abord essayé de comprendre comment marchait le monde de la mode sur tout ce que l’on ne voit pas et ne connaît pas : comment on produit un tissu, qui le fait, dans quelles conditions, pourquoi entend-t-on dire que c’est un secteur très polluant, qui sont ceux qui travaillent sur ce marché ? J’ai rencontré et questionné de nombreuses personnes et acteurs du
marché local.
En parallèle je me suis formée pendant 6 mois sur certains points (Ici au Brésil il y a beaucoup de
formations courtes, professionnelles et assez accessibles pour ceux qui veulent changer de voix.
C’est quelque chose de commun de se réinventer).
Ensuite je dirais que j’ai passé 6 mois à créer réellement la marque : toute la partie administrative,
légale, la création marketing (nom, concept, valeurs), la production, et bien sûr, le site internet.
C’est la production qui m’a pris le plus de temps et d’énergie car je me suis imposée beaucoup de
règles et de restrictions : je ne voulais utiliser que du coton local certifié, et travailler avec le moins
de fournisseurs possibles dans un rayon de 10/15km max.
J’ai lancé mon site en décembre 2019 et la pandémie est arrivée en mars 2020. En 2020 et 2021 je me suis donc beaucoup orientée sur le contenu digital : Instagram, blog, … j’ai profité du moment pour mettre en place une structure solide, j’ai révisé beaucoup de choses, notamment sur l’assortiment, et l’organisation de ma production en général.
2022 a été une année charnière, j’ai testé de nouvelles choses comme la vente en boutiques
(jusqu’à présent la marque n’était que digitale) et j’ai enfin eu l’occasion d’échanger avec des
femmes entrepreneures dans le même secteur que moi, ce qui a été d’une grande richesse et
apprentissage.
Pour résumer, il m’a fallu un an complet pour toute la partie back office (administrative, marketing
et production).
Puis 2 ans d’ajustements, dans un contexte très particulier et chaotique au Brésil (covid et crise
politique, financière, sociale et économique).
Puis un an charnière avec la mise en place de nouvelles stratégies commerciales et marketing pour
les années à venir.
Studio Pipoca , pour une marque de vêtements ! Pourquoi ce nom?
Je voulais un nom avec 2 mots, un international et un brésilien.
Studio s’est imposé car j’ai toujours adoré la photo, et comme je voulais une marque de mode enfant digitale, il était évident que la photo allait avoir une place privilégiée dans le projet. Je dis souvent que je ne vends pas des vêtements mais des photos, car la majorité de mes clients ont acheté après avoir aimé une photo sur le site. Le digital nous impose une esthétique très forte. Le
Studio c’est la référence internationale à la photo et au digital.
Pipoca c’est un mot qui n’existe qu’au Brésil. Il est simple, rond et facile à dire. C’est le pop-corn
que tous les enfants (et adultes) mangent, quelle que soit leur classe sociale. C’est un aliment
simple, non transformé, accessible et facile à faire, qui rassemble et fait partie intégrante de l’identité culturelle brésilienne. Et je trouvais sympa l’image du grain de maïs qui explose avec la chaleur et devient un pop-corn, la métaphore parfaite de la famille : plusieurs personnes ensemble, unies par un lien.
Au bout de combien de temps as-tu eu des résultats ?
La première année (lancement) en 2020 a été assez positive en vente et reconnaissance, grâce au
contenu digital. La marque s’est fait connaître assez rapidement, dans un contexte de pandémie où
les ventes Internet ont largement augmenté ici au Brésil.
2021 et 2022 ont été des années beaucoup plus compliquées, avec un retour sur investissement en
digital des grandes enseignes de mode locale et l’arrivée de multiples petits acteurs dans le
secteur.
Il a fallu faire preuve de résilience et de patience ! Mais je pense que c’est le cas pour tous les entrepreneurs. 2022 a déjà été plus favorable, surtout sur la fin d’année, donc j’espère faire une bonne année 2023, avec la mise en place de nouveaux modèles.
Les réseaux sociaux sont importants dans de ton activité, comment les appréhendes-tu ?
Au départ, j’ai beaucoup travaillé mon compte Instagram. J’y passais du temps, j’ai toujours
considéré le réseau social comme prioritaire dans ma stratégie.
L’application compte 122 millions d’utilisateurs au Brésil, c’est le 3ème réseau social le plus utilisé ici (après WhatsApp et YouTube);
Mais cela est très fatigant à la longue, j’ai testé d’autres modèles (tertiariser un peu à une free-
lance, payer une agence)… mais je dois dire que je ne suis pas satisfaite du résultat.
Aujourd’hui je cherche justement un équilibre dans cette relation, car le modèle a clairement des
limites. Je ne veux pas que ma marque dépende d’un algorithme qui change tous les mois;
Les autres réseaux je ne m’en sers quasiment pas, par marque de temps, et aussi car je ne suis
pas une grande utilisatrice.
Quel message souhaites-tu faire passer avec Studio Pipoca?
Le fond du problème dans la mode, c’est notre surconsommation. Les meilleurs habits sont ceux
qui existent déjà, et nous n’avons pas besoin d’acheter autant de vêtements.
En revanche, quand on achète un vêtement neuf, c’est mieux de privilégier des plus petites
marques, les marques locales, qui tentent de nouveaux modèles et respectent au mieux
l’environnement et l’humain.
J’essaie d’expliquer ce message à toute ma communauté et à mes clients, tous les jours, car pour
moi c’est cela qui reste le plus important, au-delà de vendre simplement des vêtements pour
enfants.
Pour le petit mot de la fin , après ces années brésiliennes comment vis-tu ton quotidien
dans ton pays d’expatriation?
Aujourd’hui au bout de 8 ans je ne me sens ni française, ni brésilienne.
Je suis dans une culture entre deux, une sorte de monde créé qui n’existe que par moi et pour moi, qui me permet de rester libre et affranchie des deux cultures et pays. Cela a des avantages et des inconvénients mais c’est le prix à payer pour se sentir complètement
libre.
Je crois que sans cette liberté je n’aurais jamais eu la créativité nécessaire pour entreprendre.