Henri Rousseau, Le Rêve, 1910. huile sur toile, 204,5cmx299cm. MoMA, New York
Rapide biographie:
Né en 1844 dans la maison familiale à Laval, dans l’Ouest de la France, Henri Rousseau montra son talent pour les arts durant toute sa scolarité et remporta des prix pour sa musique. Malgré ses capacités, ses parents ne purent lui payer une école. Il s’engage dans l’armée puis entre dans les services de l’octroi à Paris, d’où son surnom de “Douanier”. Il commence à peindre à ses temps libres et à partir de 1885, devient un exposant régulier au Salon des Indépendants de Paris où les peintres comme Camille Pissarro (1830-1903) ou Odilon Redon (1840-1916) s’émerveillent de la nouveauté de sa vision.
Composant ses tableaux à partir de photographies découpées dans la presse, Henri Rousseau se proclamait peintre “réaliste”. Autodidacte, il consolida ses connaissances à l’aide de professeurs talentueux. Il produit un grand nombre de toiles, qui représentent souvent des paysages de jungle. Il n’a pourtant jamais quitté la France. Son inspiration provient surtout de livres illustrés, des jardins botaniques et de rencontres avec des soldats qui avaient participé à l’intervention française au Mexique.
Ses toiles montrent une technique élaborée, mais leur aspect enfantin a valu beaucoup de moqueries à Henri Rousseau. Habitué du Salon des indépendants, il commence à recevoir des critiques positives à partir de 1891, et rencontre quelques autres artistes à la fin de sa vie, comme Marie Laurencin, Robert Delaunay, Paul Signac, Guillaume Apollinaire, Edgar Degas, Toulouse-Lautrec et Pablo Picasso. Son travail est aujourd’hui considéré comme crucial pour l’art naïf et il a influencé de nombreux artistes, notamment des surréalistes.
En 1893, il se consacre entièrement à son art. Encouragé et soutenu par les poètes et artistes de l’avant-garde qui voient en ce “primitiviste” un des pères de la modernité en peinture, il présente trois toiles au Salon d’Automne de 1905 parmi les “fauves”.
Son apparente naïveté fut acquise. Il réalisa des portraits, des paysages urbains et de grands tableaux de jungles devenus célèbres.
Paul Éluard a dit de lui : « Ce qu’il voyait n’était qu’amour et nous fera toujours des yeux émerveillés1. »
Le Rêve:
Le peintre représente une jeune nue (Yadwiga, ancienne amie polonaise de Rousseau et un nu générique, dont la forme allongée traverse toute l’histoire de l’art1) sur un canapé rouge, encerclée de fleurs de lotus géantes, et qui écoute, en pleine jungle, la flûte d’un charmeur.
Étrangement, l’aspect qui peut sauter aux yeux est l’omniprésence du vert, malgré les nombreux détails parsemant la peinture. Habituellement, Rousseau commençait toujours ses toiles par ce pigment. Il y en a d’ailleurs plus de cinquante nuances ici : le déclinant dans toutes ses tonalités, allant de la plus lumineuse à la plus foncée, Le Rêve montre un subtil camaïeu ! Par ailleurs, si nous nous penchons de plus près sur la valeur des couleurs de cette peinture, nous nous rendons compte que l’artiste a utilisé principalement une seule partie du cercle chromatique : le vert et le bleu. Et afin de mettre en évidence certains détails, Rousseau utilisa leurs complémentaires (les couleurs opposées dans le gamme chromatique), comme pour le serpent orange dans les hautes herbes, ou encore les fruits dans l’arbre.
Si ces procédés plastiques semblent anodins, ils offrent pourtant à la toile une harmonie parfaite et agréable aux yeux du spectateur.
Sa manière de peindre est donc très ordonnée et importante à souligner :
Si la faune et la flore constitue le décor, l’humain est pourtant bien présent. Tout d’abord, la femme nue : allongée sur un sofa, elle regarde à droite, tendant la main.Certains ont vu dans ce personnage une allusion au dernier amour de la vie du peintre, malheureusement non partagé. Le Rêve suggérerait alors le trouble émotionnel dans lequel Rousseau était plongé durant ses derniers jours (il décède le 2 décembre 1910). Toutefois rien ne permet d’identifier cette femme puisque nous ne connaissons pas la source de son inspiration.
Dans un poème joint à sa toile, l’artiste parle pourtant d’elle :
Yadwigha dans un beau rêve/s’étant endormie doucement/entendait les sons d’une musette/dont jouait un charmeur bien pensant./Pendant que la lune reflète/Sur les fleurs, les arbres verdoyants,/Les fauves serpents prêtent l‘oreille/Aux airs gais de l’instrument.
La mise en valeur de Yadwigha est la même que celle de la nature : les contours sont renforcés par un liseré lumineux. L’aplat bordeaux du sofa détache le corps rosé de la verdure, jouant du fort contraste entre le clair et l’obscure.
L’autre personne présente dans ce tableau est le joueur de musette, transportant la jeune femme dans ce rêve. Tel un charmeur de serpent, il envoûte son public et anime les végétaux, endossant le rôle de Morphée.
Le Rêve de Rousseau montre un retour évident à la nature. Dans la clarté éclatante d’une nuit de pleine lune, l’artiste nous conte une histoire onirique. La jeune femme s’étant assoupie sur son sofa, elle est transportée dans un univers charmeur, probablement bien loin de son quotidien. Telle une Ève installée sous l’arbre du péché, Yadwigha semble retrouver son paradis perdu.